L’évolution de la carte postale

L'Hôtel Mont-Cassin, vers 1945, d'où on peut entrevoir le bâtiment du remonte-pente de la Côte à Beaulieu - Collection de Sheldon Segal
L'Hôtel Mont-Cassin, vers 1945, d'où on peut entrevoir le bâtiment du remonte-pente de la Côte à Beaulieu - Collection de Sheldon Segal

Histoire et cartes postales - L'histoire de l'évolution de la carte postale

Texte de Jean-Pierre Bourbeau

C’est en 1865 que le Prussien Heinrich Von Stephan propose « un feuillet cartonné de correspondance devant circuler à découvert ». Malheureusement, son idée ne fut pas retenue. En 1869, le docteur Emmanuel Hermann, un Viennois, reprend l’idée à son compte et il invente la carte postale.

Le premier octobre de cette année-là, l’Autriche est donc le premier pays à permettre l’usage de cette lettre sans enveloppe. Hors de l’Europe, en 1871, le Canada a été le premier pays à en autoriser l’utilisation. C’était alors un monopole d’État. Seul le Service postal pouvait en émettre. Pour toute illustration, il n’y avait que le visage de la reine Victoria imprimé en haut à droite sur le devant d’une carte mesurant environ trois pouces par cinq.

Au Canada, c’est le 9 décembre 1897 qu’apparaît la carte postale privée avec une illustration. Elle servait surtout aux commerçants qui en faisaient fabriquer pour avertir leurs clients de l’arrivée d’une commande ou leurs fournisseurs de leur prochain passage pour examiner leur marchandise. La compagnie J.C. Wilson, qui possédait des moulins de pâte à papier à Saint-Jérôme et Lachute, a émis quelques modèles de cartes postales à l’occasion de la guerre des Boers en 1898. À partir de 1901, les cartes postales s’ornent de photographies imprimées. Entre 1897 et 1904, le message était écrit en avant et l’adresse seule figurait au verso.

Dans notre pays, ce n’est qu’à la fin de 1903 que la carte postale prend la forme plus définitive que nous lui connaissons maintenant : le Gouvernement vote une loi qui stipule que la carte postale aura trois pouces et demi de haut par cinq et demi de large. Au verso de l’image, l’espace sera divisé : à gauche on écrit le message et à droite l’adresse du correspondant. En haut à droite, un espace permet d’apposer le timbre. Il en fut de même partout dans le monde. Commence alors l’âge d’or de la carte postale. Les historiens situent cette période entre 1904 et 1918. Des millions de cartes postales sont émises, utilisant les matériaux les plus divers : papier cartonné, celluloïd, cuir, bois, métal, cartes brodées, d’autres utilisant de vrais cheveux humains.

Au Canada, durant ces années, de nombreuses compagnies européennes, telles l’écossaise Valentine et la française Neurdein, ou l'étasunienne Detroit Photographic et les canadiennes Montreal Import et Illustrated Post Card ont publié des millions de cartes postales ayant nos milieux de vie comme sujet. Ces cartes portent les mentions « Azo » ou « Velox » à droite, à l’endroit où on appose le timbre.

Bien que la carte postale eût débuté son déclin vers 1914, l’essor du tourisme de masse, favorisé par l’arrivée du train dans plusieurs régions du Québec et la construction de nombreuses routes pour l’automobile nouvelle venue, a soutenu l’emploi de la carte postale entre 1920 et 1940. On utilisait alors beaucoup la carte postale à tirage limité sur papier photo sensibilisé. Vers 1950, la carte postale plastifiée, aux nombreuses couleurs reflétant la réalité, fait son apparition. C’est la carte postale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Des événements plus récents comme l’Exposition universelle de 1967 au Québec augmentèrent l’intérêt du public pour cet objet. Par la suite, la carte postale adopte des formats parfois plus grands ou parfois plus fantaisistes. Les sujets aussi sont plus variés. Gratuites, de nouvelles cartes postales servent dans les années 1990 à faire la publicité d’entreprises.

Au Québec, c’est un accident qui a favorisé la carte typiquement québécoise. En 1903, le célèbre poète breton Théodore Botrel vient faire une tournée au Québec, suivi d’un photographe. Il voulait amasser de l’argent pour ériger un monument à Jacques-Cartier à Saint-Malo. Cette tournée a servi de sujet pour une série de cartes postales qui a eu la faveur des Québécois francophones. Joseph-Laurent Pinsonneault photographie Botrel et son épouse à son studio de Saint-Jean.

Devant la passion déclenchée par les clichés de la tournée de Botrel, six mois plus tard, Joseph-Laurent et un de ses frères éditent une grande série de cartes postales sur Saint-Jean et la région montréalaise qui a eu un succès immédiat. D’autres membres de la famille Pinsonneault faisaient de la photographie. Pierre-Fortunat Pinsonneault, en particulier, après s’être installé à Trois-Rivières, diffuse de nombreuses séries de cartes imprimées sur les villes et villages du Québec, parfois aidé de photographes locaux.

À cette époque, les Québécois, comme leurs cousins Français, manifestent alors un engouement extraordinaire pour ces petits bouts de papier représentant les rues et les bâtiments principaux de leur lieu de résidence ou de naissance. Leurs voisins nord-américains aiment davantage les cartes à thèmes variés. Puis, à l’instar des Pinsonneault et des grandes compagnies éditrices de cartes postales, de nombreuses petites entreprises régionales émettent des cartes imprimées ou photographiques.  Elles diffusent les clichés de photographes locaux ou elles publient leurs propres travaux.

Dans les Laurentides, notons la présence du Studio Beauchamp dans la région de Saint-Eustache, fondé en 1939 par Rolland Beauchamp. Son frère Germain est venu le rejoindre en 1949. Leur production de cartes postales aurait débuté au début des années 1950. À la même période, le studio Bernard Bogue, d’Hawkesbury, publie une série sur Lachute et les villages plus anglophones des Laurentides. À Saint-Jérôme, entre 1905 et 1915, le docteur Emmanuel Fournier publie quelques-uns de ses clichés sur papier sensibilisé. Peu d’exemplaires semblent avoir subsisté.  Vers 1910, la Librairie Prévost utilise les images de Pierre-Fortunat Pinsonneault, de Trois-Rivières, pour une courte série de cartes imprimées ayant Saint-Jérôme pour sujet. Elle a aussi publié sa propre série sur Saint-Jérôme, avec les clichés d’un photographe qui nous est inconnu.  À la fin des années 1940, le photographe jérômien Gérard Vermette éditait quelques-unes de ses photos en cartes postales photographiques. Vers 1910, Honorius Grignon, maître de poste à Sainte-Adèle, publiait une courte série de cartes imprimées ayant son village pour sujet. À Sainte-Agathe-des-Monts, vers 1920, le photographe Ozias Renaud a aussi publié des cartes postales imprimées sur son village. À la même époque, l’Agathois Delphis Côté commençait la production de nombreuses cartes postales illustrant Sainte-Agathe et le nord des Laurentides, en cartes postales photographiques surtout. Il a fondé le célèbre Studio Laurentien, avec son fils Lucien. À la fin des années 1940, un incendie a détruit l’ensemble de son fond photographique. À partir de 1924, plusieurs studios de Montréal, en particulier ceux de Ludger Charpentier et celui de Michel Photo, ont quadrillé la région laurentienne pour laisser aux nombreux touristes qui la fréquentaient « un souvenir impérissable » de leur voyage.

À partir des années 1930, on constate un déclin de la carte postale comme moyen de communication. L’Expo 67 lui aurait donné un regain de vie. À partir de la fin des années 50, les procédés de fabrication  et d’impression changent. Plusieurs autres moyens de communication ont supplanté l’utilisation première de la carte postale, c’est-à-dire fournir à chaque citoyen un moyen simple et peu coûteux de communiquer avec d’autres personnes.

Comme on peut le constater, l’histoire des cartes postales n’en est pas une banale et elle nous démontre bien sa fonction sociale, commerciale ou récréative, dans le premier siècle de l’ère industrielle. Encore aujourd’hui, ces documents sont utilisés en abondance dans les livres illustrés portant sur notre histoire. Elles sont précieuses pour témoigner de ces lieux ou moments disparus de notre histoire. Conservons-les ou donnons-les aux sociétés d’histoire de nos localités pour en préserver la mémoire collective.

Source : Poitras, Jacques, La carte postale québécoise, une aventure photographique, Montréal, Éditions Broquet, collection Signatures, 1990.

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